Geste professionnel, intervention, prise en charge, numérique … Passer de l’efficacité à l’efficience
Editorial - E. Gentaz
ANAE N° 172
2021
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Ces quelques lignes sur ce concept d’efficacité nous invitent à revenir à la définition même de l’efficacité et d’introduire celle d’efficience. Parfois considérées comme synonymes, il apparaît nécessaire de faire la distinction entre efficacité et efficience dans le contexte actuel de limitation des ressources. En effet, l’efficacité renvoie à l’atteinte d’un objectif fixé, indépendamment des ressources mobilisées tandis que l’efficience renseigne sur l’atteinte du même objectif assortie d’un contrôle des ressources mobilisées. En d’autres termes, un geste peut être efficace mais peu efficient, tel celui qui éliminerait un moustique avec un bazooka…
Dans nos domaines, cette distinction peut nous aider à prendre des décisions. Par exemple dans celui de l’éducation, si nous prenons l’argument des tailles d’effet (i.e., la différence entre la moyenne des deux groupes comparés, divisée par l’écart type de l’échantillon) pour recommander certaines interventions par rapport à d’autres, il est souvent d’usage de considérer l’importance d’un effet (mesurée avec le d de Cohen) selon sa taille : faible < 0.50 ; moyen entre 50 et 80 et large > 80. Dans son travail de méta-analyse, Hattie (2009) observe une taille d’effet moyen de 0.4 et recommande d’utiliser ce seuil pour estimer si une intervention est efficace ou non. Mais des travaux commencent à souligner les limites de cette approche simpliste (Kraft, 2020) : en effet, si on est dans une perspective de généralisation à grande échelle, il faudra choisir entre une intervention à effet moyen impliquant des ressources limitées mais à large diffusion et une intervention à effet fort, impliquant des ressources importantes (le tutorat ou des outils numériques trop consommateurs d’énergie) donc peu de bénéficiaires.
Dans le monde actuel, la prise en compte du seul seuil d’efficacité pour décider de proposer une intervention à grande échelle n’est plus pertinente ; la décision doit se fonder sur un seuil d’efficience prenant en compte aussi l’ensemble des ressources impliquées, non seulement humaines et financières mais également environnementales (Haut Conseil pour le Climat, 2021).
Passer du geste professionnel efficace au geste professionnel efficient est une nécessité pour préparer l’avenir dans des meilleurs conditions possibles.
Pr édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève et
Directeur de recherche au CNRS
Références
Demers, S. (2016). L’efficacité : une finalité digne de l’éducation ? McGill Journal of Education / Revue Des Sciences De l’éducation De McGill, 51(2). Retrieved from https://mje.mcgill.ca/article/view/9404
Gentaz, É. (2020). Édito - Que peuvent nous apprendre les recherches sur l’évolution de la démarche de la médecine fondée sur des preuves (Evidence-Based Medicine - EBM) ? A.N.A.E., 165, 125-127
Gentaz, É. (à paraitre). Quels sont les véritables apports des neurosciences aux apprentissages et à l’enseignement ? Paris : Odile Jacob.
Hattie, J. (2009). Visible learning: A synthesis of 800+ meta-analyses on achievement. Abingdon: Routledge.
Haut Conseil pour le Climat (2021). Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation. https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2021/06/HCC-rappport-annuel-2021.pdf
Kraft, M. (2020). Interpreting Effect Sizes of Education Interventions. Educational Researcher, 49, 241-253.