Comment favoriser les interactions vertueuses entre le monde de la recherche et le monde de l’éducation en France : trois propositions

 

Editorial - E. Gentaz 

 

ANAE N° 177

 

Avril 2022

Les mondes de la recherche et de l’éducation (ministère chargé de l’Éducation nationale, éducation populaire, petite enfance, les parents, etc.) sont des mondes dont les objectifs et les contraintes spécifiques peuvent faire obstacle à des interactions fructueuses. Pour les uns, il s’agit par exemple de produire des connaissances et de les diffuser via des revues scientifiques internationales, alors que pour les autres, il est question d’enseigner, d’éduquer et d’intégrer les connaissances nouvelles aux pratiques des professionnels de l’éducation (enseignants, éducateurs, animateurs, etc.). Néanmoins, il paraît fondamental de travailler aux conditions favorables à un rapprochement de ces préoccupations et propices à la genèse d’interactions vertueuses entre ces deux mondes par essence complémentaires.

 

Voici trois propositions concernant différents acteurs de l’éducation qui poursuivent cet objectif sur le long terme. 

Développer la formation, à et par, la recherche
interventionnelle 

 

Le niveau des compétences des professionnels détermine, au final, la qualité du système éducatif. Une manière de développer massivement leur formation est d’élaborer des projets de recherche en sciences cognitives interventionnelles, associant les praticiens et les chercheurs sur tout le territoire. Les protocoles de recherche en sciences cognitives interventionnelles trouveraient une place pertinente et bienvenue dans la formation des praticiens apprentis comme experts. La co-construction par des praticiens et des chercheurs, de programmes interventionnels, peut constituer d’excellents outils de formation professionnelle. En effet, cette co-construction permet de créer un cercle vertueux entre, d’une part, les praticiens qui élaborent et testent sans cesse un grand nombre de techniques pédagogiques, majoritairement issues de la pratique et, d’autre part, les chercheurs qui s’efforcent de comprendre, d’expliquer des techniques et stratégies d’apprentissage et d’évaluer leurs effets issus le plus souvent d’expérimentations. Bien entendu, les techniques élaborées par la pédagogie ne sont pas de moindre importance. Preuve en sont les multiples recherches scientifiques qui prennent appui sur elles (Gentaz, 2022). 

Remplacer le Conseil Scientifique de l’Éducation
Nationale (CESEN) par des Conseils Scientifiques
Académiques de l’éducation (CSAE) 

 

Si un fonctionnement hypercentralisé et vertical peut avoir des effets positifs pour répondre à des situations de crise, il a souvent des effets négatifs bien documentés. Le fonctionnement hypercentralisé et pyramidal d’un système a souvent des effets négatifs qui sont bien documentés (déconnexions avec les contraintes locales, faible implémentation et implication des acteurs locaux, instrumentalisation politique, etc.). Ces effets négatifs sont particulièrement présents pour répondre à un objectif de favoriser les interactions vertueuses entre les mondes de la recherche et de l’éducation. L’atteinte de cet objectif implique un fonctionnement décentralisé et horizontal. Dans cette perspective, il serait plus efficace de remplacer le CSEN par la création dans chacune des 30 académies d’un conseil scientifique de l’éducation au sens large, indépendant (structurellement et financièrement), composé des différents acteurs locaux disponibles (enseignants, chercheurs, cadres, éducateurs, parents, etc.) avec des mandats explicites, publics et limités dans le temps. Le travail en parallèle de ces conseils permettrait de créer un grand nombre de dynamiques vertueuses sur l’ensemble du territoire. L’accessibilité aux débats et aux échanges de ces 30 conseils permettrait à tous les acteurs de mieux comprendre comment se discutent et s’effectuent les échanges entre les données issues de la recherche et celles issues de la pratique et partager ainsi les bonnes pratiques au niveau national.

 

 

Favoriser les compétences parentales 

 

Devenir parent provoque un véritable bouleversement psychologique chez la mère et le père. Il est crucial d’aider les parents et leur entourage dans la découverte et dans l’exercice de leur parentalité afin de favoriser l’éducation de leur enfant. Un regard éclairé sur le développement psychologique de l’enfant peut donc aider les parents à mieux comprendre et à dépasser les moments difficiles (Fourneret & Gentaz, 2022). Nous pouvons distinguer différents niveaux d’engagement pour favoriser les compétences parentales : informer, former à distance ou en présentiel, préparer et accompagner en présentiel.

 

Informer/diffuser 

 

Il est important de mettre à disposition des parents l’état des savoirs à travers tous les médias possibles (livres, brochures, documentaires, réseaux sociaux, etc.). Ces savoirs participent à l’élaboration des conceptions et des représentations sociales que les adultes – les parents bien sûr, mais aussi tous ceux qui évoluent autour de l’enfant – ont des enfants et de leurs compétences, et influencent notre manière de les accompagner dans leur développement. Compte tenu de l’innombrable quantité d’informations disponibles, la question pour les parents est de trouver des informations fiables. Plusieurs sources d’information solides élaborées par les professionnels existent. En France, une plateforme nationale interactive est proposée depuis 2021 pour informer les parents :

 

https://www.1000-premiers-jours.fr 

 

Former à distance avec un MOOC
Massive Open Online Course ») 

 

Il s’agit de cours de niveau universitaire, gratuits et libres d’accès. Les savoirs proposés sont scientifiquement fondés. C’est une formation interactive en ligne ouverte à tous, sans prérequis, cadencée dans le temps, composée de courtes vidéos, de QCM afin de vérifier l’acquisition de connaissances, d’exercices pratiques et travaux collaboratifs. Nous avons proposé un MOOC de l’Université de Genève sur le « Développement psychologique de l’enfant ». Compte tenu du nombre d’inscrits (plus de 22 000), à ce jour depuis 2 ans, et de leurs caractéristiques (environ 50 % sont âgés entre 25 et 34 ans et environ 63 % ne sont pas étudiants), il semble répondre à des besoins et des attentes évidents des parents en favorisant leurs compétences parentales.

 

https://moocs.unige.ch/offre/cours-ouverts/developpement-enfant/  

 

Former en présentiel 

 

Il existe aussi des formations en présentiel qui sont proposées par de nombreuses associations (par exemple « Formation des Parents CH »), la faîtière suisse de l’éducation familiale, https://www.formation-des-parents.ch/ dont le but est de soutenir la parentalité et le développement des compétences éducatives des parents. 

 

Préparer et accompagner 

 

La création et l’instauration d’une préparation à la petite enfance et à la parentalité s’inscriraient dans la continuité des recommandations de l’OMS (2002) qui préconise d’aller au-delà des séances de préparation anténatales en proposant un accompagnement postnatal. Ainsi, il serait très utile de proposer aussi des séances à tous les jeunes parents – voire aux assistantes maternelles –, aux grands-parents (étant donné le rôle et le recours aux grands-parents dans la prise en charge des jeunes enfants) durant les trois premières années de leur enfant, afin de les aider à aborder certaines dimensions psychologiques qui favorisent la santé psychique comme les effets bénéfiques des jeux, les effets délétères des châtiments corporels (Gershoff, 2002) ou encore la question des co-usages des écrans (Pappsa, 2020) avec plusieurs initiatives en Suisse comme : https://www.jeunesetmedias.ch/ ou https://www.actioninnocence.org/

 

 

Pr édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève,
Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Centre Jean Piaget

 

Références

Fourneret, P., & Gentaz, É. (Éds) (2022). Le développement neurocognitif de la naissance à l’adolescence. Paris : Elsevier Masson.

Gentaz, É. (2022). Les recherches interventionelles en éducation : apports et limites. Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, A.N.A.E., 176, 21-28.

Gentaz, É. (2019). Le développement psychologique de l’enfant. Genève Université de Genève : https://www.coursera.org/learn/enfant-developpement

Gentaz, é., & Richard, S. (2022). Efficacité des interventions conduites dans les classes : la nécessité de l’évaluation de leur implémentation. Paris : Cnesco-Cnam.https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2022/03/Cnesco_CCI_Gouv_RT_Gentaz_Richard.pdf

Gershoff, E. (2002). Corporal punishment by parents and associated child behaviors and experiences: A meta-analytic and theoretical review. Psychological Bulletin, 128, 539-579.

Organisation Mondiale de la Santé (2002). Essential antenatal, perinatal and postpartum care: Training modules. Copenhagen   WHO Regional Office for Europe. https://apps.who.int/iris/handle/10665/107482

 

Pappsa, S. (2020). What do we really know about kids and screens? Monitor – American Psychological Association, 51, 42. https://www.apa.org/monitor/2020/2004/cover-kids-screens

 .

 

 

Pour citer cet article : Gentaz, É. (2022). Éditorial -Comment favoriser les interactions vertueuses entre le monde de la recherche et le monde de l’éducation en France : trois propositions

 

A.N.A.E., 2022, 177, 149-151

 

www.anae-revue.com